POLÉMIQUE
Une crise sourde agite la
grande association familiale
Familles de France : un
président contesté

Laurence de Charette
[22 avril 2002]

Plaintes successives en justice, diffamations, intrigues, et bras de fer...
Familles de France, la deuxième association familiale française, est en
ébullition. Depuis l'élection, en mars 2001, de son nouveau président Henri
Joyeux, la puissante association souffre de profondes divisions qui menacent
aujourd'hui de la pousser à la scission.
L'affaire
commence au printemps de l'an dernier, lorsque, à la surprise d'une partie du
conseil d'administration, le professeur Henri Joyeux, cancérologue et membre du
conseil d'administration depuis une petite année, décide de se présenter seul à
la tête du mouvement... et emporte la partie. Dès ce moment, il éveille une
partie des rancoeurs. Son élection est d'ailleurs contestée devant le tribunal
de grande instance de Paris par onze administrateurs (deux votants n'auraient
pas rempli les conditions d'adhésion au mouvement selon les plaignants).
D'emblée, les
relations entre les membres du bureau tournent à l'aigre, quand ce n'est pas au
pugilat. Un huissier est sollicité pour assister aux réunions du conseil
d'administration. Le président soupçonne – publiquement – un des membres de son
conseil de lui avoir fait parvenir une invitation à une soirée peu fréquentable.
Ce dernier réplique par un recours en diffamation...
Le ton est
donné. Les recours à la justice se multiplient : les deux camps se battent à
coups de demandes de dommages et intérêts sur l'utilisation du site Internet,
sur la parution, dans le journal de Famille de France, d'articles (en
l'occurrence des tribunes d'Henri Joyeux sur la sexualité) à l'insu de sa
rédaction en chef, ou encore sur l'apparition de publications dissidentes
diffusées aux fédérations... Au siège de l'association, les salariés
s'inquiètent d'une commande peu ordinaire passée par la nouvelle direction : 130
000 francs de caméras de surveillance... Sur le terrain, les fédérations
retentissent de ces conflits et commencent elles-mêmes à se diviser entre les
pro-Henri Joyeux et les anti.
C'est que le
profil et les sujets de prédilection du nouveau président de Familles de France
ne font pas l'unanimité. Notamment ses prises de position originales sur
l'alimentation. Cancérologue, Henri Joyeux prône de « manger mieux et meilleur »
pour lutter contre certaines maladies comme le cancer. Ses détracteurs voient
dans ses écrits des liens avec les thèses proches de certaines sectes, comme
l'instinctothérapie et le crudivorisme (manger cru). Henri Joyeux,
soulignent-ils, a en effet préfacé plusieurs écrits sur le sujet de Bruno Comby,
qui a lui-même fait un passage dans le château de Montrâmes – qualifié de secte
par la mission de lutte contre les sectes et dont le gourou Guy-Claude Burger a
été condamné pour pédophilie.
Autre préface
controversée : celle d'un ouvrage de Jean Seignalet, personnage également lié à
l'instinctothérapie. Même s'il est bien l'auteur de plusieurs livres, notamment
sur l'alimentation, le professeur Joyeux défend ses travaux qu'il veut purement
scientifiques. Ses thèses sur l'alimentation ne sont cependant pas parues dans
les grandes revues médicales et scientifiques. Ce qui lui vaut en tout cas la
critique d'une partie de ses confrères, comme l'un de ses anciens professeurs :
« Ses écrits, qui défendent ses convictions, n'ont pas la nécessaire rigueur
scientifique », assène ce spécialiste reconnu.
Malgré ces
critiques, les conférences du professeur connaissent un certain succès. Et c'est
l'un des points de discorde avec ses opposants. Henri Joyeux (et son épouse)
organise, avec le support de la structure de Familles de France, des conférences
sur ces thèmes de prédilection : alimentation, sexualité, hormones. « Or nous
ne voulons pas voir Familles de France associée à des thèses qui s'éloignent de
l'objectif d'une association familiale... », explique le président d'une
grosse fédération du mouvement. Parmi les conférenciers invités à animer ces
débats publics, on trouve notamment Marie-Christine Lhermitte « spécialiste en
atelier de nutrition », formatrice à l'Institut Hippocrate, un institut
américain de la galaxie des défenseurs de la nourriture crue.
D'ici le
printemps, le mouvement, qui perd un nombre croissant d'adhérents, selon les
chiffres de l'Unaf (qui regroupe l'ensemble des associations familiales), sera
confronté à de nouvelles échéances : les élections au conseil d'administration.
Et plusieurs fédérations, minoritaires en nombre mais importantes en poids,
menacent déjà de quitter Familles de France si son président est réélu.